Cécile Bouffard

Stinky Jade

exposition ouverte du 14h à 19h vendredi, samedi et dimanche

et sur rendez-vous : treize.galerie@gmail.com

une exposition de Pauline Perplexe à Treize, avec le soutien de la Mairie de Paris


Un rouleau de sachets en plastique acheté par Cécile Bouffard dans un magasin Action dans une ZAC à l’entrée d’un village en Bretagne à l’automne 2023 présente un défaut de fabrication. Chaque nouveau sachet arraché au rouleau le confirme, s’effilochant en plusieurs feuilles distinctes aux contours curvilignes qui flottent inutilement, se collent aux mains, et tombent au sol avec cet air vaguement accusateur propre aux plastiques à usage unique.

Les restes de cette expérience d’achat perturbante trainent dans l’atelier de Cécile pendant l’hiver, où ils s’imposent avec de plus en plus d’insistance, s’enroulant autour de ses pièces biomorphes en bois et enduit, s’engouffrant dans des fentes et des plis, intrus malaisants et étouffants. L’éco-anxiété cède bientôt le pas au délire de conditionnement, au plaisir difficilement résistible de tenir boutique : sitôt terminées, des sculptures en dur ou en tissu aux tons pastels fanés sont empaquetées, mises sous vide, débitées au poids, augmentés de bijoux ou de nœuds dérisoires. De cette manière, l’atelier de Cécile se met à ressembler à un magasin de souvenirs où des bibelots de front de mer se confondent à des formes ambiguës issues de la pêche de fond, inventaire invendable et prise du jour immangeable que l’on imagine jalousement surveillée par une commerçante névrotique et fantomatique.

Cette figure absente en appelle d’autres, qui se dessinent en négatif au fur et à mesure que les motifs marins se démultiplient : les sardinières de Douarnenez du début du 20e siècle et leurs ritournelles bretonnes qui servent parfois de chants de grève mais le plus souvent constituent une tentative de briser la monotonie du travail à la chaîne ; plus loin, celle de la poissonnière, de la fishwife – ou de la stinking jade, comme on disait parfois aux halles de Billingsgate à Londres au 19e siècle. Figure à la fois joyeuse et dérangeante, son obligation pressante de tout vendre avant que cela ne pourrisse donne naissance à une parole intrusive, indisciplinée et caustique, qui s’immisce partout comme l’odeur de ses produits.

C’est un langage qui court le long des creux, des arêtes et des contours ondulants des pièces rassemblées ici : mutiques, elles sont aussi étrangement bavardes, leurs formes anarchiques suggérant un état d’animation suspendue. Les bêtes grouillantes qui s’incrustent aux murs, les prothèses argentées étalées sur des présentoirs coquets, et les bourriches lumineuses accrochées au plafond dans l’attente d’attraper on ne sait pas trop quoi, sont toutes baignées dans une lumière jaunâtre et fiévreuse, celle du coucher de soleil permanent de Querelle de Fassbinder. Aux cantiques des sardinières et à la clameur des poisonnières s’ajoute alors l’air insipide mais entetante chanté tout au long du film par la tenancière des lieux, Jeanne Moreau. « There’s nothing fishy about this, is there? » demande Brad Davis en arrivant au bar-bordel Le Feria au début du film.

Si, Brad. Ça pue.

Texte : James Horton
Production : Marie Descombes & Ernest Thinon <3
Vues d'exposition : Objets pointus

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