From the inside !
De l'intérieur !
مِن الداخِل!
Héritage et mémoires des luttes anti-impérialistes à Paris
Exposition du 2 au 8 juin
À Treize
24 rue Moret 75011 Paris
Avec la participation de Valentin Bigel, Joss Dray, Leo Kekemenis, Tulyppe et Grup Yorum.
À partir d'une sélection de productions militantes (affiches, fanzines, tracts, radios, banderoles, photos, films, K7, etc.), l'exposition – conçue dans le cadre de la semaine anti-impérialiste qui se déroule du 2 au 8 juin 2025 – redéfinit l’articulation entre centre et périphérie en mettant en lumière la structuration des solidarités internationalistes et anti-impérialistes au cours des soixante dernières années à Paris, depuis l'intérieur même d'une capitale impérialiste.
L’impérialisme est un stade de développement du capitalisme qui étend les logiques de monopole et d’exploitation à l’échelle de l’économie mondiale. À la charnière des années 1950 et 1960, sous l’impulsion des mouvements de libération nationale et des luttes anticoloniales, émergent des solidarités internationalistes fondées sur des perspectives souvent révolutionnaires qui s’agrègent autour d’une série d’initiatives : la conférence de Bandung en 1955, la Conférence tricontinentale à la Havane en 1966 qui aboutit à la création de l’Organisation de la solidarité des peuples d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine (OSPAAAL), le Festival panafricain d’Alger en 1969, etc. Prenant acte de ces transformations, la France, qui n’est pas disposée à abandonner son empire colonial à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, va pourtant se rendre compte que les coûts occasionnés par le maintien de l’ordre et l’entretien de ses territoires coloniaux est trop élevé. En décidant de refondre les modalités structurelles de son empire, la France va établir des liens de dépendance économique et géostratégique avec ces territoires en échange, pour certains, de leur autonomie administrative ou de leur indépendance (à l’instar des accords de coopération de la Françafrique).
Parallèlement à l’agenda local et sectoriel des luttes nationales (conditions de travail, salaires, luttes écologiques, luttes d’émancipation culturelle et sexuelle, etc.), le mouvement social et contestataire français va également s’organiser après-guerre autour des engagements décoloniaux dans un double mouvement centrifuge (la solidarité avec les luttes tricontinentales ; la cristallisation des engagements autour d’emblèmes décoloniaux comme la guerre du Vietnam ou le soutien au peuple palestinien) et centripète (la mobilisation depuis la France des travailleur.euses immigré.es issu.es des anciennes colonies ; les luttes indépendantistes en France d’outre-mer, comme la Kanaky, auxquelles nous pourrions ajouter par extension les mouvements régionalistes basques, bretons, corses – le centralisme étatique n'étant rien d’autre qu'une forme d’agrégation impérialiste naturalisée par l’histoire. Les revendications anti-impérialistes ont été un pivot important autour duquel s’est structuré le mouvement social en France, à travers notamment un certain nombre de comités de soutien (pour la libération et les conditions de détention de Georges Ibrahim Abdallah, des membres d’Action Directe ou de la RAF, notamment), de groupements diasporiques comme le GUPS (l’Union générale des étudiants palestiniens) ou de structures comme le Centre d'études et d'initiatives de solidarité internationale (CEDETIM) et le Centre International de Culture Populaire (CICP) qui ont, par la suite, posés les fondations de l’altermondialisme des années 1990. Pourtant, force est de constater que l’histoire de l’engagement anti-impérialiste depuis la France est un récit plutôt mal connu qui, malgré son importance, fait l’objet d’une relative invisibilisation. La répression qui s’est abattue sur ces luttes au cours des décennies avec une inlassable monotonie est sans nul doute responsable de cette occultation. L’exposition conserve la trace des censures [1], des assassinats « non élucidés » [2] et d’un appareillage législatif et réglementaire permettant la mise en place d’une oppression légaliste [3]. Mais la cause de cet effacement se trouve aussi du côté des partis de gauche et des syndicats qui, pour bon nombre d’entre eux, sont restés inféodés aux intérêts impérialistes hexagonaux (le rayonnement économique et culturel de la France, le devoir d’ingérence humanitaire, etc.). Rappelons-le, la France en 2025 est une puissance impérialiste qui vend des armes et exporte sa technologie nucléaire, qu’elle soit militaire ou civile, à travers le monde. La défense est un outil stratégique d’intégration économique qui lui permet d’écouler la production de son complexe militaro-industriel en profitant d’un état de guerre permanent maintenu par ses alliés ou par elle-même au gré des conflits internationaux et des opérations de maintien de l’ordre.
Vouloir développer une histoire de l'anti-impérialisme en se plaçant depuis une perspective parisienne, comme le fait l’exposition à Treize, est un projet qui peut sembler paradoxal, peinant à se départir d’une position européocentriste. Ce serait mal comprendre la volonté de redéfinition, voire de dépassement, de l’articulation entre les notions de centre et de périphérie, telle qu’elle est envisagée dans l’exposition. À partir des années 1960, la lutte contre l’impérialisme est marquée par le concept de guérilla urbaine, théorisé en 1969 par Carlos Marighella, puis repris par les Tupamaros en Uruguay comme une alternative au « foquisme » guevariste (qui prônait la multiplication des foyers d’insurrection en milieu rural). Reprenant la notion de « front unique » [4], plusieurs groupes européens envisagent la métropole, symbole centralisateur du pouvoir, comme un terrain de lutte stratégique qui permet d’affaiblir l’impérialisme de l’intérieur. L’illégalisme et la clandestinité sont parfois vécus comme un engagement, un mode opératoire qui se conçoit comme le « seul territoire libéré » à l’intérieur des métropoles, comme le lieu où l’individu aliéné peut retrouver sa liberté. « From the inside ! De l'intérieur ! مِن الداخِل » : en reprenant le slogan d’une affiche produite par l’OSPAAAL dans les années 1960, l’exposition se saisit du stigmate de « l’ennemi intérieur », vieille rengaine réactionnaire, coloniale et antisémite produite par la pensée européenne, pour le retourner contre lui-même en révélant les mobilisations et les solidarités qui se sont structurées autour des luttes anticapitalistes, décoloniales et anti-impérialistes.
La plupart des productions matérielles qui ont été réunies dans cette exposition relèvent d’un régime esthétique qui n’est pas celui de l’art. Formes éphémères (une affiche sur un mur a vocation à être déchirée), souvent anonymes, elles témoignent de leurs conditions de production et des répressions que ces luttes eurent à subir au cours des époques. Contrairement à l’œuvre d’art, le registre n’est pas celui de la représentation mais de l’opérativité (défendre une position, atteindre un objectif) et du discours performatif (produire une affiche ou un fanzine, c’est avant tout se définir en tant que groupe !). Nous remercions chaleureusement toutes les personnes (militantes et / ou chercheuses) qui nous ont confié les documents qui sont exposés à Treize. Forcément lacunaire et inachevée, cette exposition s’envisage comme une archive non-institutionnelle, éphémère et horizontale, conçue par et pour les personnes qui ont préparé la semaine anti-impérialiste à Paris au cours du printemps 2025. Chacun de ces documents nous a été confié comme un trésor, un butin, un objet transitionnel qui s’est parfois transmis sur plusieurs générations, et dont l’ensemble constitue la constellation des engagements et des époques.
[1] La revue Tricontinental, présentée dans l’exposition, est publiée à la Havane par l’OSPAAAL. Elle est interdite en 1968 par Raymond Marcellin, ministre de l’Intérieur, sous prétexte qu’elle émane « de l’étranger ». Pour contourner la censure, François Maspero décide de produire une édition française conçue depuis Paris qui l’exposera à une série de condamnation : saisies, amendes, peines de prison.
[2] L’une des tables d’archives de l’exposition consacre Paris « capital du crime impérialiste ». Elle évoque les meurtres de personnalités anticoloniales comme Henri Curiel (Égypte), Dulcie September (Afrique du Sud) ou Medhi Ben Barka (Maroc).
[3] La proposition de loi « relative à la lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur » qui impose une conception élargie de l’antisémitisme en y incluant l’antisionisme et la critique d’Israël en est l’exemple le plus récent.
[4] La Fraction Armée Rouge allemande (RAF) développe cette notion dans un texte de 1982 intitulé « Guérilla, résistance et front anti-impérialiste ».
Ce projet s'inscrit dans le cadre de la semaine anti-impérialiste organisée à Paris du 2 au 8 juin 2025. Nous remercions les prêteur.euses anonymes qui nous ont permis de rassembler ce patrimoine internationaliste et révolutionnaire. Cette exposition est le fruit d'une collaboration entre l'International Anti-imperialist summit - Paris 2025, Treize, l'Actualité des luttes et PMN Éditions.
https://www.instagram.com/organize_fight_win/
https://paris-luttes.info/semaine-anti-imperialiste-organize-19591
VERNISSAGE le 2 juin
18h : plateau radio animé par l'Actualité des luttes (Fréquence Paris Plurielle, 106.3 FM) avec Guy Dardel, Joss Dray et Raul Mora
20h30 : concert de Grup Yorum. Fondé à Istanbul en 1085, Grup Yorum est un groupe de musique révolutionnaire. Interdit de concert en Turquie depuis 2016, les membres du groupe sont victimes d'une répression policière et juridique permanente.
LECTURE le 8 juin à 19h avec Gorge Bataille x Juliette Langevin pour finir en beauté la semaine de rencontres anti-impérialistes
Affiche 1 et 2 : Valentin Bigel