Au départ il y a le luxe et la misère
Maïa Izzo-Foulquier

du 12 au 30 février 2020

En quelques années, Maïa Izzo-Foulquier (1991-2019) a élaboré une œuvre engagée, marquée par une dimension protéiforme, la co-présence d’alter égos, l’expérimentation: une forme d’enquête sociale et intime, hétérogène et perfectionniste.

Maïa Izzo-Foulquier était Thelma Hell. Elle écrivait sur le blog « Ma lumière rouge » et parlait pour le STRASS (Syndicat du travail sexuel), et il faut prendre ces textes et cette prise de parole comme une partie intégrante de son travail d’artiste. La pertinence et la clarté de son écriture ont participé à définir le féminisme pute, un féminisme queer, pro-sexe, pro-libérations dans tous les sens, anti criminalisation, anti répression. Un féminisme profondément convergent et intersectionnel, qui permettait à Thelma de s’allier avec beaucoup de gens et d’en emmener d’autres avec elle.

Elle était Zelda Weinen, qui a sorti en 2017 l’album de rap français « Wedding Blues », puis de nombreux autres titres et concerts ou apparitions live (elle rappait vêtue d’une robe de mariée) et, là encore, il faut voir sa musique, et ses paroles, cette écriture, comme une partie indispensable à son projet.

Maïa Izzo-Foulquier a réalisé des actions dans la rue, des films, elle a conçu un jeu satirique (du monde de l’art, et capitaliste en général), elle a organisé des expositions militantes, elle a mené des enquêtes, des études, elle a manipulé des conversations et des images trouvées (sur les sites de rencontre VivaStreet et sur Chatroulette par exemple)...
Elle a aussi réalisé de très nombreuses photographies. La photographie fut le premier médium artistique et militant dont elle s’empara d’abord à Lyon, lorsqu’elle était étudiante en sciences politiques, puis à l’école de la photographie d’Arles, et à la Villa Arson, entre 2014 et 2016, même si à Nice, ce fut aussi le moment où elle commença à organiser l’hétérogénéité de son travail plastique (Maïa était très organisée). Elle a donc abordé la photographie de façon tout aussi hétérogène et organisée que le reste, lui conférant différents usages, fonctions, tâches. Elle a aussi envisagé la photographie à l’aune d’un certain classicisme, avec un souci de la forme, de la matérialité de ses images et ses sujets. Maïa a enfin organisé, et pris en charge, son rapport à des influences fortes, presque classiques désormais, notamment celle du photographe allemand Wolfgang Tillmans.

L’exposition « Au départ, il y a le luxe et la misère » rassemble des pièces de 2012 à 2019. Elle se concentre sur ces photographies « du début », un début qu’elle n’avait jamais vraiment laissé derrière elle, malgré un désir peut-être de trouver des moyens artistiques l’impliquant -elle ou ses alter égos- plus directement, et permettant d’articuler plus clairement ses préoccupations militantes et sociales.
La plupart des images de l’exposition sont issues d’une série qu’elle déploie au fil du temps, « La chambre », précédemment « Middle », qui a fait l’objet de plusieurs expositions et de parutions, ainsi que d’une publication sur laquelle elle était en train de travailler. Chaque cliché a connu différents formats, qualités, traitements de tirages. À Marseille où nous sommes allées pour archiver, classer, ordonner et conserver ce qui se trouvait dans son atelier, on a découvert des centaines de tirages. On avait 48h pour tout inventorier. L’œuvre de Maïa Izzo-Foulquier aurait facilement pu disparaître avec elle, c’est le cas de plein d’artistes - femmes en particulier.

Les plus récentes pièces font partie de celles qu’elle avait produites pour son exposition à Treize en 2020, et qui aurait eu pour titre « A tous points de vue je vais de mieux en mieux ». Cette exposition était prévue exactement au moment où « Au départ il y a le luxe et la misère » a désormais lieu. L’on ne peut pourtant pas dire que l’une de ces deux expositions se substitue à l’autre, ni que l’une se concentre sur ce qui serait un début alors que l’autre, qui était le présent même du travail de Maïa, du travail qu’elle était en train de faire pour son exposition, en serait aujourd’hui la fin. C’est plutôt nous qui avons refusé de nous substituer à Maïa et de faire à sa place tant bien que mal l’exposition qu’elle ne peut pas faire. Commencer par le début (ou par le médium du début) serait aussi, pour nous, augurer de multiples possibilités pour le futur de cette œuvre, d’expositions et des situations qui se concentreront sur d’autres aspects de son travail.

« Au départ il y a le luxe et la misère. La misère, dans une de ses formes les plus élitistes, c’est d’être diplômée de plusieurs grandes écoles sans avoir aucune place sur le marché de l’emploi. Le luxe, c’est celui du choix. De pouvoir choisir, en gros, entre les cuisines d’un MacDo, la caisse d’un grand magasin, le deal ou le tapin. Après les avoir tous testés une fois mon choix a été vite fait. Le tapin me permettait d’être auto-entrepreneur, de choisir mes horaires, mes tarifs, mes conditions et, parce qu’il se construit historiquement autour de luttes ouvrières et féministes, de m’y retrouver politiquement. »*

Rencontrer Maïa Izzo-Foulquier et travailler avec elle étaient un bouleversement.

*extrait de "Pourquoi je n'écris plus dans ce blog", Thelma Hell, 1 décembre 2019


Cette exposition est organisée par Olga Rozenblum et Lili Reynaud Dewar, avec Simon Bouhour.
Merci aux ayants droits pour leur soutien.

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