Nicole Roche, La Chambre d'or
30 avril – 16 mai
ouverture du vendredi au dimanche de 14h à 19h
Projection de "Nachtlied" (1h12) à 14h15 – 15h30 – 16h45– 18h00

Elle dit qu’elle a trouvé là un paysage à sa mesure – petite. Au creux d’un vallon, au sommet d’une montagne. Que ce sont ses difficultés à aimer qui l’ont conduite au début des années 1990 à faire le choix d’un autre romantisme, celui d’une grande histoire d’amour avec la nature, qui elle, quand elle s’en fout, au moins ne le dit pas. Elle écrit des poèmes et des contes, fait des broderies sur des serpillères qui racontent cet attachement aux choses – le soleil, les feuilles du tilleul, la lune, son ruisseau – qui lui permettent de vivre seule. Ses œuvres et ses histoires d’amour, de chant et de famille, ont été le sujet de nos discussions depuis plusieurs années, puis sont devenues un film qui est aujourd’hui le meilleur moyen pour moi de dire ce que je lui dois.

Baptiste Pinteaux

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À l’occasion d’un entretien publié dans le numéro 3 de la revue Show, Fanny Lallart, Juliette Beau et Johana Blanc évoquent l’artiste américaine Fluxus Nye Farrabas et plus particulièrement son texte de 1966, « Become Invisible » :

Become Invisible
A: By hiding
B: By divesting yourself of all distinguishing marks
C: By going away
D: By sinking through the floor
E: By becoming someone else
F: By concentrating so hard on some object or some idea that you cease to be aware of your physical presence
G: By distracting everybody else from your physical presence
H: By ceasing to exist

Les trois auteures de l’entretien discutent ensuite des raisons et des manières de disparaître du champ de l’art (l’argent, le découragement, la sauvegarde de soi, l’accomplissement du travail dans son amenuisement même). En retour, elles expliquent leur quête de références féminines en évoquant les enjeux de visibilisation du travail des femmes artistes – ne serait-ce que pour trouver de nouvelles références susceptibles d’altérer les canons essentiellement masculins de l’art. Elles identifient aussi précisément les risques d’une telle entreprise : mythifier des figures, les plier à l’idéologie régnante de la singularité en histoire de l’art, son attachement réactionnaire au récit éminemment hétéropartriacal de l’héroïsme. Johana souligne ainsi combien il existe « une espèce de mode de récupérer la vielle artiste et puis la ressortir du placard pour aller capitaliser dessus. C’est en même temps génial de parler des femmes auxquelles l’histoire n’a pas rendu justice et en même temps ce qui me gêne dans le fait de mythifier Nye Farrabas ou Lee Lozano ou certaines artistes qui sont devenues des espèces d’idoles : c’est le fait qu’on les rende tellement particulières qu’on en fait des exceptions et rien ne change. C’est le problème de la figure du génie dont on ne se débarrasse pas en faisant des mythes. Je trouve ça super important d’avoir plus de références féminines, d’avoir plus de modèles féminins mais je ne sais pas si c’est la meilleure manière, d’en choisir qu’une et de dire : ‘celle-là regardez elle avait tout compris de son époque’ alors que tout le monde a tout compris de son époque. »

Quand Baptiste m’a parlé de « Manette », le nom que son frère et lui donnent à Nicole Roche, j’ai pensé à « Marraine », le nom que mes frères et ma sœur donnons à Andrée D., dont vous n’avez jamais entendu parler non plus. Marraine s’appelle Andrée car ses parents attendaient un garçon et qu’il a fallu in extremis féminiser son prénom. André, ça veut dire homme de sexe masculin en grec. Andrée allait chercher son café le matin à la caserne où travaillait son père. Elle a fait du foot. Elle est devenue une femme frappante de beauté – elle a connu les officiers SS qui patrouillaient près de Mont-Louis, dans les Pyrénées catalanes pendant la guerre et la traitaient avec une courtoisie qui la dégoutait parce qu’elle était aryennement blonde et élancée. Elle a connu les mecs qui faisaient silence ou la sifflaient sur son passage dans les amphis de la fac de Montpellier ou les rues de Perpignan. Andrée a été mariée une fois, quelques mois, un an tout au plus, avec un jeune homme qui fut un écrivain assez connu par la suite. Il était égoïste, il la trompait avec des filles, avec des garçons, il était lâche. Un jour qu’elle était malade, il a disparu de leur appartement avant de revenir quelques jours plus tard avec des oranges pour elle et un amant pour lui.

Elle a fini par faire publier dans Midi libre une annonce : « Madame Andrée D. ne répond plus des dettes de son mari XXX ». C’était là signifier une rupture franche et définitive. C’est aussi, à ma connaissance, son seul texte publié, parmi des pages et des pages de textes ébauchés, de poèmes aussitôt déchirés, de roman jamais commencés. J’ai reçu beaucoup de lettres de Marraine. Un jour, elle m’a demandé de m’en débarrasser, et je l’ai fait. Elle s’est aussi découpée sur toutes les photos de mon enfance où elle apparaissait. Mon enfance, c’est elle – mais c’est aussi les martinets dans le ciel vert, le bec jaune des merles sous le tilleul, les saints de glace qui rappellent l’hiver au printemps et les derniers feux de l’été qui disparaît. Mais ça, je crois, tout le monde le sait.

Emmanuel Guy

Merci à Clément, Douna, Ethan, Franck, Jean-Charles, Laura, Laurent, Olga, Victor etc.

Toutes les photographies de l'exposition été réalisées par Aurélien Mole.













Photographies d'Aurélien Mole